Rue de la Faisanderie, il est dix heures. Ma mère est installée dans son bureau au centre culturel irakien quand deux hommes armés, des membres de l’OLP, pénètrent dans l’ambassade d’Irak située dans l’immeuble en face. Ils ouvrent le feu, blessant deux personnes très grièvement, l’un des deux terroristes prend la fuite et le second s’installe au premier étage de l’immeuble avec plusieurs otages. Les forces de l’ordre bouclent le secteur.
Depuis quelque temps, les Palestiniens se font la guerre. Deux groupes s’affrontent : l’Organisation de libération de la Palestine de Yasser Arafat soutenue par le régime syrien, favorable à des négociations avec Israël, et l’Organisation Abou Nidal aussi appelée les Brigades révolutionnaires arabes, prête à aucune concession avec Israël, et qui a le soutien du régime irakien. Leur conflit s’est exporté à travers le monde, dans les pays arabes et en Europe. Attentats, exécutions en pleine rue, prises d’otages, rien ne les arrête pour régler leurs comptes.
Les policiers, les services de sécurité réquisitionnent le bureau de ma mère qui donne directement sur l’ambassade. Ils lui demandent de ne pas bouger. Elle n’arrête pas de leur répéter : « Je ne veux pas mourir en France. Je veux mourir au Liban, je veux mourir au soleil. »
Mon père a été prévenu par un ami et s’est directement rendu sur les lieux. Arrivé sur place, il annonce être le mari de l’une des otages et demande à parler au responsable des opérations qui est tout de suite venu à sa rencontre. Mon père n’a rien trouvé d’autre à lui dire que : « Cher monsieur, ma femme est à l’intérieur. Combien je vous paie pour que vous la gardiez en otage ? »
Ma mère observe les gens s’activer devant elle. Elle n’en revient pas d’avoir fui le Liban et sa guerre pour vivre une prise d’otages à Paris. Elle aimerait être dans les bras de son mari ou de ses parents. L’un des membres des services de sécurité français parle parfaitement arabe, il communique au téléphone avec des responsables irakiens. Qui sont-ils ? « Probablement des gens des services secrets de Saddam » me dit ma mère. Le mot d’ordre était de garder le terroriste en vie, mais quand, six heures après le début de la prise d’otages, les policiers français lancent l’assaut et réussissent à sortir le terroriste de l’ambassade, un retournement de situation a lieu, les hommes des services de sécurité irakiens sortent leurs armes et se mettent à tirer. Pourquoi ? Comment ? Ma mère suppose que Saddam avait donné l’ordre de tuer le terroriste. Alors que le preneur d’otages acceptait de se rendre, les Irakiens le visent et le blessent ainsi que deux policiers. Un troisième est tué dans la fusillade.
Dans les images du journal de TF1, la scène est entièrement filmée, une véritable scène de guerre dans Paris. Ça tire de toutes parts, les gens se cachent où ils peuvent, on entend des cris d’effroi. J’imagine ma mère mourir de peur dans son bureau, mon père prier, lui qui ne prie jamais, pour qu’aucune balle ne touche ma mère. Je me repasse les images, ma mère est sur ces plans, au deuxième étage de l’immeuble à gauche. Je n’arrive pas à y croire. Je zoome pour tenter de l’apercevoir. Je ne vois rien. J’ai envie de toucher l’écran et d’y entrer pour la rejoindre, la prendre dans mes bras et la protéger. Lui dire : « Maman, il ne t’arrivera rien. Ne t’inquiète pas. Ne pleure pas. »